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Interview pour Russie-Info : Un marché de l’emploi pour les Français en Russie toujours en berne ?

Il y a quelques années, la phrase « ici, tout est possible » revenait souvent à la bouche de ceux partis travailler en Russie. Aujourd’hui la crise économique profonde et les sanctions ont porté un coup à cet enthousiasme.

Russie Info a rencontré plusieurs experts du recrutement sur le marché russe concernant l’évolution de ce marché et de son attractivité pour les Français. S’ils reconnaissent la difficulté de ces dernières années, ils considèrent toujours qu’il y a des perspectives intéressantes. De fait, en comparaison avec d’autres filiales étrangères, peu d’entreprises françaises ont quitté la Russie depuis 2014, même si elles ont certainement réduit leur voilure.

La chute du rouble coupable

La chute du rouble a véritablement affecté le marché de l’emploi pour les Français en Russie. Aux alentours de 35-40 roubles pour un euro début 2014, la monnaie russe a perdu 42% de sa valeur cette année-là, suite à la baisse des prix du pétrole et les effets de la crise ukrainienne. Elle se maintient désormais autour de 60 roubles pour un euro. Cette baisse a spécialement affecté les revenus des contrats locaux rémunérés en monnaie locale et a mis sous pression bon nombre de Français vivant en Russie.

Pour les personnes expatriées dont les revenus sont en euros, l’ambiance n’était aussi plus au beau fixe, les coûts qu’elles représentent pour l’entreprise étant désormais sensiblement plus lourds.

Elisabeth Gorodkov-Goutierre, fondatrice du cabinet de recrutement TPA/Axis, estime que le nombre de VIE par exemple a été divisé par trois dans les filiales françaises. Présente depuis 25 ans en Russie, elle rappelle cependant la diversité des situations professionnelles qui ne favorisent pas l’émergence de tendances claires: « On n’a pas un marché de l’emploi russe mais que des exceptions ». Au-delà de la chute du rouble, d’autres facteurs structurels long terme ont agi sur les conditions d’emplois.

Une normalisation administrative qui ralentit les processus

L’obtention des visas s’est ainsi progressivement complexifiée sur le plan administratif depuis 2008. Avant 2002, on pouvait arriver en Russie sans permis et trouver un travail. Désormais, cela n’est plus possible.

Les visas business de 6 mois ne sont plus cumulables et les conditions sont plus strictes. Le gouvernement a cependant mis en place en 2010 des systèmes plus rapides pour les travailleurs hautement qualifiés (VKS), qui bénéficient d’un salaire supérieur à 2 millions de roubles par an. Cela a permis de simplifier le processus et d’éviter le double paiement des charges.

Mais pour Elisabeth Gorodkov-Goutierre, cela reste un « parcours du combattant ». En 2015, le service de migration a été supprimé pour être rattaché au ministère de l’intérieur et les locaux ont déménagé en dehors de Moscou, à deux heures de bus de la capitale. « Il faut au final 4 jours temps plein pour récupérer son permis de séjour ».
Mais la spécialiste du marché russe ne jette pas la pierre. Pour elle, « en Russie, on a tendance à mettre la charrue avant les bœufs »: des réformes sont faites mais les gens ne sont pas formés et les structures pas prêtes pour les appliquer.

Une russification des effectifs ?

Cette plus grande complexité n’a pas comme intention de spécialement favoriser l’emploi des Russes, selon Elisabeth Gorodkov-Goutierre, il s’agit plus « d’une réorganisation qu’un durcissement ».

Pour Caroline Galliaerde, Directrice Générale du cabinet de recrutement BrainPower, filiale de BPI-Group, la tendance est certes à la russification des managers mais les décisions souvent ne suivent pas la tendance: « Lorsqu’une filiale étrangère veut changer son management et embaucher des Russes, il arrive souvent qu’un candidat français fasse l’affaire. »

Les postes de CFO resteront souvent dévolus aux Français dans les filiales de grands groupes nationaux. Mais sur les postes de DRH, c’est un Russe qui sera le plus souvent privilégié. C’est le cas d’Auchan Russie qui après avoir eu longtemps un DRH français, a désormais une Russe à la tête de ce département.
La russification répond pour Caroline Galliaerde davantage à une stratégie business qu’une politique nationale: « C’est une logique d’efficacité et d’adaptation au pays ».

Même constat chez TPA/Axis: pour certains postes comme le développement commercial ou certains secteurs comme les milieux industriels, le fait d’être russe est plus apprécié.

Alexandre Stefanesco, fondateur du cabinet de recrutement Atsal spécialisé dans les PME, confirme une forte russification depuis 2014: « Mais elle correspond plus à une logique de normalisation et de tri, comparable à la logique canadienne ».

La hausse des visas VKS (pour les travailleurs très qualifiés) traduit pour lui le souhait de développer une immigration sélective, choisie. Et cette russification semble logique pour des entreprises françaises implantées depuis plusieurs années. Il indique que « le talent français a été transmis et on a moins besoin de staffer en managers étrangers ».

Ce constat est partagé par Elisabeth Gorodkov-Goutierre: « Globalement la Russie se referme un peu sur certains postes, il y a des candidats russes de plus en plus matures, avec de plus grandes compétences professionnelles qu’autrefois ».

Pour rester en Russie, il faut désormais être prêt à quitter le statut d’expatrié. Caroline Galliaerde confirme cette baisse des contrats expatriés au profit des contrats locaux, même si les réticences à changer de statut restent présentes.

Alexandre Stefanesco distingue dans son métier aujourd’hui 3 types d’expatriés: « L’expat, espèce en voie de disparition, le repat, c’est-à-dire le Russe qui est parti à l’étranger et qui revient, et enfin le ruspat, l’étranger en contrat local qui s’est russifié ».

Ce dernier, employable en contrat local, coûte moins cher que l’expat et représente l’avenir de l’emploi des Français en Russie.

Des secteurs de prédilection

Les perspectives d’embauche, si elles sont moins nombreuses, restent bien présentes. Pour Caroline Galliaerde, les Russes aiment bien embaucher des profils dont ils n’ont pas encore les compétences, faisant référence à la renommée des Français dans le domaine du retail, et le succès connu du groupe Auchan, Leroy Merlin et Décathlon en Russie. Le domaine agricole est aussi, selon la spécialiste, un secteur reconnu pour les Français aujourd’hui, avec beaucoup d’opportunités dans l’élevage, l’agriculture, l’agronomie ou encore la viticulture. BrainPower s’occupe notamment en ce moment de recruter un expert français pour travailler dans une exploitation agricole russe.

Alexandre Stefanesco d’Atsal cite le retail également mais aussi la construction, l’ingénierie, l’aéronautique et le luxe. Mais si la vague de l’expatriation est finie selon lui, c’est désormais la vague de l’entreprenariat qui prend la suite en Russie.

« Il y a tout ici pour les entrepreneurs: des charges basses, un environnement favorable à la création d’entreprises, et pleins de choses à faire ». Le cabinet Atsal est lui-même logé à la Maison des entrepreneurs français de Moscou (MEF), incubateur pour start-ups ou PME qui souhaitent entrer dans le marché russe. La MEF, créée en 2015 va déménager bientôt dans des locaux plus vastes, témoignant de perspectives intéressantes.

« Il y a encore du boulot à faire en Russie »

Pour Elisabeth Gorodkov-Goutierre, « cette baisse des visas est davantage conjoncturelle, ça repartira ». « Quand on va dans les régions par exemple, on se rend compte qu’il y a pleins de choses encore à faire. Les Russes sont parfois moins mobiles et il sera peut-être plus facile de trouver des Français prêts à s’installer en région », indique l’experte avant de conclure qu' »il y a encore du boulot à faire en Russie ».

Mais la fondatrice du cabinet TPA/Axis recommande aux nouveaux arrivants d’avoir un bout de projet en tête. Elle déconseille d’arriver sans préparation ni idée sur le marché russe, comme cela était possible a une certaine époque. Elle préconise aux jeunes de ne pas hésiter à se tourner vers les contrats de type VIE car « il y a des entreprises qui ne trouvent pas aujourd’hui des candidats pour partir en VIE en Russie ». Et recommande aussi de s’appuyer sur la communauté française déjà présente en Russie et sur ses structures existantes comme la MEF.
Pour ceux qui recherchent des postes de top management dans des filiales françaises, il faut parler aux deux parties, russes et françaises, afin de pouvoir négocier des conditions de contrat sécurisantes (points de retraites, etc…).

Caroline Galliaerde conseille surtout de ne pas être trop exigeant au début lorsqu’une proposition de travail se présente: « Les opportunités restent telles en Russie qu’on peut rattraper très vite le retard, en termes de salaire et de responsabilités ».
Les nombreuses success story de Français en Russie sont là pour le rappeler.

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