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Crise démographique russe : quelle conséquence sur les ressources humaines russes ?

On parle souvent de crise démographique russe sans bien mesurer les conséquences des dynamiques qui vont résulter de l’effondrement des naissances qui a fait suite à l’effondrement de l’union soviétique.

1980 – 1990

Lors de la décennie qui a précédé la chute de l’Union Soviétique, de 1980 à 1990, la Russie a connu une moyenne annuelle de 2,2 millions de naissances et 1,6 millions de décès, soit une augmentation de population annuelle « moyenne » naturelle (naissances moins décès) de 600.000 habitants. En 1990 la population de l’union soviétique était de 292 millions d’habitants et celle de la Russie des frontières d’aujourd’hui de 147.969.000 habitants.

1990 – 2000

A la chute de l’Union Soviétique, l’effondrement économique et politique entrainera une catastrophe démographique.

Dès 1991 le nombre de naissances va commencer à diminuer, passant annuellement de 1.794.626 à 1.214.689 en 1999, tandis que le taux de fécondité s’effondra de 1,89 à 1,17 enfants par femme. Dans le même temps, l’effondrement sanitaire entraina le retour en Russie de maladies qui n’existaient que dans les pays les plus pauvres de la planète. Conséquence directe : le nombre de décès augmenta en flèche, passant de 1.690.657 en 1991 à 2.144.316 en 1999.

Cette situation donna naissance à une nouvelle terminologie démographique propre au pays : le terme de « croix russe » définissant une natalité basse et une mortalité haute. Pendant cette décennie post-soviétique, le pays perdait naturellement entre750 et 900.000 habitants par an soit un effondrement démographique jamais vu dans un pays en pays en paix.

Fort logiquement, de nombreux pronostics démographiques plus pessimistes les uns que les autres vont apparaître à cette époque. La CIA envisagea que la population de Russie n’atteindrait que 130 millions d’habitants en 2015 (alors qu’elle s’est établie cette année 2016 à 146,8 millions d’habitants). En 2002, l’Institut Robert Schuman imaginait qu’en 2050, la population du pays pourrait atteindre «entre 77,2 millions et 101,9 millions d’habitants » selon des scénarios plus ou moins optimistes. Pour la plupart des observateurs, la Russie était condamnée à mourir.

2000-2017

La stabilisation économique à partir de 2000 puis l’établissement d’un gigantesque plan démographique à partir de 2005 visant à soutenir la natalité vont pourtant faire mentir toutes ces projections et la situation démographique va drastiquement s’inverser. Le nombre de naissances ne va cesser d’augmenter, passant de 1.266.800 en 2000 à 1.893.256 en 2016 tandis que le nombre de décès va lui diminuer de 2.365.826 en 2003 à 1.887.913 en 2016. Le taux de fécondité lui remonta de 1,17 à 1,8 enfants par femme entre 1999 et 2016 soit plus que dans l’union européenne.

Conséquence de cette nouvelle dynamique la population russe augmente de nouveau depuis 2012 avec des hausses naturelles (naissances moins décès) de 25.000 habitants en 2013, 30.000 en 2014, 32.000 en 2015 et 5.000 en 2016. La population russe qui avait diminuée après ces terribles 15 années (1990-2005) pour atteindre 142.742.368 habitants en 2008 atteint désormais ce 01/01/2017 144.498.215 habitants sans la Crimée et 146.8 million incluant la Crimée.

2017 – 2030 ?

L’institut russe d’Etat Rosstat établit des pronostics démographiques mis à jour en tenant compte des évolutions démographiques annuelles. Trois scénarios existent :

– Le « scénario pessimiste » envisage une population de 143,2 million en 2030.

– Le « scénario médian » qui semble le plus plausible envisage une population de 147,1 millions d’habitants en 2030.

– Enfin un « scénario optimiste » envisage lui une population russe de 152 millions d’habitants en 2030.

Oui mais la démographie russe …

Malgré cet incroyable printemps démographique la population de Russie va faire face à une situation extrêmement compliquée au cours des quinze prochaines années, la faute à l’absence de naissances durant la période 1990 – 2000, la pyramide des âges ne laissant malheureusement aucun doute à ce sujet.

A titre d’exemple le contingent des russes âgés de 30 ans (soit les gens nés en 1987) représente en 2016 2,58 millions de personnes avec 1,3 million d’hommes et 1,28 million de femmes. Au cœur de la crise démographique russe en 2030, ce contingent de 30 ans (soit les gens nés en 2000) seront eux seulement 1,4 millions avec 685.000 femmes et 720.000 hommes soit 50% moins nombreux qu’aujourd’hui (!).

Du point de vue du marché du travail, cela signifie que le nombre d’entrants actifs sur le marché du travail va à compter de cette année 2017 sérieusement diminuer, alors même que le taux de chômage est déjà très faible. Cette tendance s’accentuera jusqu’en 2030 date à partir de laquelle la hausse des naissances initiée à partir des années 2000 commencera à se faire sentir.

La crise démographique russe relative au marché du travail ne fait donc que commencer.

Comment et où trouver du capital humain qualifié, russophone et apte à travailler en Russie si ce n’est justement « en » Russie ? L’absence de ressource démographique interne pourrait inciter à vouloir se tourner vers l’immigration.

Justement, et l’immigration dans tout ça ?

Durant les années 90, des millions de Russes de l’étranger (de l’ex-URSS) se sont du jour au lendemain retrouvés citoyens de pays étrangers à la chute de l’Union soviétique. Ces « pieds rouges » sont retournés en Fédération de Russie, créant un flux migratoire majoritairement slave qui a comblé dans une large mesure l’effondrement démographique naturel que le pays connaissait à la même période par l’effondrement des naissances, la hausse de la mortalité et l’émigration vers des pays occidentaux.

Au cours des 15 années de la période 1999-2014 l’immigration s’est déslavisée et provenait surtout de CEI et notamment d’Asie centrale. Durant la période 2000 – 2014 plusieurs « millions » de travailleurs étrangers annuels, principalement issus d’Asie centrale, main d’œuvre principalement dédiée aux tâches ingrates dans la construction et l’entretien urbain.

Mais dès la fin de l’année 2014, la guerre en Ukraine et la chute du rouble une grande partie de ces migrants économiques ont quitté la Russie. Depuis deux ans une nouvelle vague de migration slave a frappé la Russie : des centaines de milliers d’Ukrainiens ont émigrés en Russie pour fuir la guerre et la crise que ne traverse leur pays. Un contingent de migrants qui vraisemblablement dans sa majorité ne quittera plus jamais la Russie.

Malheureusement, le volume de ces divers flux migratoires relativement subis ne sera pas suffisant tandis que ces migrants ne sont pas forcément, suffisamment formés et compétents pour répondre aux besoins à venir de l’économie.

Quelles solutions alors ?

L’absence de ressource démographique interne pourrait inciter à se tourner vers une forme d’immigration choisie et non subie mais encore faudrait-il que cette décision stratégique ne s’accompagne de mesures fortes, incitatrices afin d’attirer le meilleur capital humain des pays voisins mais aussi de l’étranger lointain.

L’instauration de visas tel que le VKS montrent que les autorités russes ont compris ces nécessités, mais cet outil, bien qu’une aubaine pour les employeurs avec le cours du rouble actuel, est loin, très loin d’être suffisant.

Les complexités multiples qui entourent l’installation en Russie pourraient par exemple justifier la création de centres de préparation à la langue, la culture, à la vie mais aussi au travail en fédération de Russie. De tels centres pourraient voir le jour en Russie comme à l’étranger. Ces programmes pourraient servir de tremplin à destination de milliers, de dizaines de milliers de jeunes travailleurs potentiels pour les attirer, accueillir, filtrer, préparer et accompagner sur le plan logistique lors de leur installation professionnelle vers la Russie.

Une nécessité accrue si l’on prend en compte que l’enseignement de la langue russe diminue dans certains pays européens tels que la France par exemple et sans doute un moyen de refaire retourner au pays des descendants d’une diaspora du monde russe qui bien souvent ne sait plus comment (re)-venir en Russie.

Le cours du rouble bas, sans aucun doute favorable à l’économie russe est de toute évidence un repoussoir pour nombre de migrants qui bien que travaillant en Russie gardent une vision comptable basée ou calculée sur la valeur de la devise de leurs pays d’origine. C’est bien le cas depuis 2014 avec la main d’œuvre peu qualifié d’Asie centrale et la main d’œuvre qualifié des expatriés européens, deux contingents de population qui ont quitté assez massivement la « Russie du rouble faible ».

La dimension pénurique du marché du travail russe ne devrait donc que s’accentuer et cette dynamique pénurique est lourdement inquiétante alors que dans les grandes villes russes les entreprises ont du mal à acquérir, garder et former du capital humain compétent et son contraintes à se développer comme elles peuvent et pas comme elles veulent.

La première des conséquences pour les candidats sera de pouvoir négocier à la hausse leurs salaires tout en se faisant en permanence pourchasser sans répit par des concurrents à leurs employeurs, de nouveaux acteurs du marché ou des agences en quête des quelques talents disponibles sur le marché du travail.

L’avenir des recruteurs dans la Russie de demain sera-t-il de chasser des postes de middle-management, voir même des postes de low management ? Le travail des recruteurs évoluera-t-il de plus en plus vers du marketing et de la vente pour promouvoir leurs clients et leurs positions ?

L’avenir pour les entreprises sera-t-il d’élever (nurturing) des pools de talents et s’assurer de leur intégration puis de leur loyalisme via des plans démentiels d’acquisition / rétention ?

L’hyper-concentration des talents sur les quelques grands centres urbains, et bien évidemment Moscou en tête, ne laissera-t-il aucun avenir aux régions russes ?

La bataille pour les talents en Russie ne fait que commencer.

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