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Entretien pour le Business club franco-russe « Nouveaux horizons »

« Nouveaux horizons » : L’économie mondiale a été fortement impactée par la crise du coronavirus et les effets du confinement décidé par les autorités pour en limiter la propagation. En Russie, plusieurs secteurs sont durement touchés et le nombre de personnes sans emploi a augmenté de 29% entre 30 Mars et le 12 Mai 2020. Les dernières prévisions de l’ONG « Деловая Россия » annoncent sans surprise une forte récession dans l’hôtellerie, le tourisme, l’industrie, le commerce non alimentaire et dans le secteur des services, avec un arrêt d’activité pour 1 million de PME – sur 6 millions d’entreprises enregistrées – avant Août 2020. Face à ces prévisions, seuls 18 % des dirigeants se disent confiants quant à l’avenir de leurs entreprises (Banque « Открытие »), malgré le dispositif d’aide  conséquent mis en place par le gouvernement russe et un fonds spécial de 8.8 milliards de Roubles, dédié aux PME. Quel regard portez-vous sur cette situation et quelles conséquences aura-t-elle sur l’emploi et sur l’économie du pays en général ?

Tout d’abord, la crise sanitaire est en train d’être passée par la Russie de façon plutôt réussie. Au jour où nous parlons, le pays semble avoir atteint le plateau et le système médical russe a tenu le choc, bien mieux que dans de nombreux pays européens et occidentaux et ce malgré près de 365,000 cas dont près de la moitie à Moscou ce 26/05/2020.

Des hôpitaux ultramodernes ont été construits en urgence dans tout le pays, 160.000 lits médicaux ont été équipés pour traiter une surcharge de malades et la production de masques et d’appareils d’assistance respiratoire ont été relancés en force.

Quand on sait la taille du pays, les différences et les disparités régionales (économiques, culturelles, d’équipements des hôpitaux) … C’est un tour de force et de toute évidence, quand on parlera des pays qui sont sortis gagnants de cette crise, la Russie sera sur la liste avec l’Allemagne et les pays asiatiques (Chine, Japon, Corée…). Un pays dans lequel on n’a pas laissé mourir les gens faute d’équipement.

Les autorités russes ont choisi la voie d’un confinement plutôt hybride, sur la base du volontariat sauf pour les personnes âgées, en quelque sorte à mi-chemin entre les confinements stricts sud-européens et les solutions asiatiques de masques / non confinements. Mais hormis Moscou et la région de Moscou, principaux clusters de contamination, les régions ont connu des régimes particuliers généralement moins sévères.

Bien sûr, ce confinement hybride a eu pour conséquence de porter un coup direct au fonctionnement de l’économie. Les aides des autorités et principalement de la Mairie de Moscou sont réelles et même surprenantes pour la Russie qui n’est pas un Etat particulièrement social avec le business en règle générale, mais elles ne concernent pas toutes les entreprises, tout d’abord une liste des secteurs touchés par la crise a été établi, et toutes les entreprises ne rentrent pas dedans on parle de 40% d’entre elles. Ensuite, il faut comprendre que nombre d’entreprises de petites dimensions fonctionnent encore, surtout en province, avec des modes opératoires semi-légaux (par exemple en employant des employés en partie ou en totalité de façon non officielle, ou en tentant de ne pas payer les taxes … etc.). Ces entreprises préféreront de toute évidence ne pas attirer l’attention sur elles.

Ensuite Il faut aussi garder en mémoire qu’une grande partie de l’économie est totalement non-officielle, jusqu’à 25% selon les autorités russes ce qui devrait permettre paradoxalement une certaine flexibilité et une certaine capacité de rebond du moins dans certaines limites.

Il est difficile en cette fin mai 2020 de savoir quelle sera l’addition réelle de tout ça sur le plan économique mais il semble que le secteur des PME devrait être très sérieusement impacté car il est le plus fragile ; Ce secteur comprend les entreprises qui ont jusqu’à 250 employés et ne dépassent pas 25 millions d’euros de CA annuels. Ce segment comprendrait officiellement un peu plus de 6 millions d’entreprises (dont 800.000 à Moscou) et au total 16 millions d’emplois sur un total de 75 millions d’actifs, soit 21% des emplois du pays.

Les estimations actuelles laissent envisager que jusqu’à 20% de ces PME pourraient fermer, mettant au chômage jusqu’à 3 millions de personnes.

Aujourd’hui près d’un million d’emplois sont supprimés de par la situation sanitaire à Moscou tandis que certaines estimations envisagent que le chômage au global en Russie dans les deux prochains mois puisse atteindre 8% de la population active (6 millions de personnes) contre 4% avant crise. Néanmoins, alors qu’en avril une récession monstrueuse était envisagée en Russie (on parlait de chute du PIB de 10%), des estimations diverses envisagent maintenant une baisse de 9,5% sur le second trimestre, après une croissance de 1,3% au premier trimestre, et une récession globale sur 2020 de plutôt 5 / 6% ce qui serait, si cela se confirme, moins qu’en 2009 lorsque le PIB avait diminué de 8%. Il faut aussi garder en tête que l’effondrement des prix du pétrole est une des raisons de cette chute du PIB donc en fait la Russie fait face à deux crises en parallèles. Mais la crise économique est « devant » et les prochains moins ne seront pas faciles, ni pour les entreprises, ni pour les employés.

« Nouveaux horizons » : La crise du Covid-19 va certainement transformer nos entreprises. Depuis le début de l’épidémie, les fonctions RH ont mis en place de nouvelles mesures en matière de télétravail, sécurité & santé des salariés, dialogue social, activité partielle… En France, le télétravail et le numérique ont permis à 8,4 millions de personnes de maintenir l’exercice de leurs fonctions à domicile. Le management et la formation à distance gagnent du terrain et sont d’ores et déjà considérés comme des « conséquences positives » de la crise par 33% des DRH. Qu’en est-il en Russie ? Quelles nouvelles pratiques voyez-vous émerger dans le monde du travail et lesquelles seront amenées à perdurer ?

Depuis de nombreuses années, les Ressources Humaines sont frappées de plein fouet par la Digitalisation. Aucune entreprise n’échappera à la réorganisation digitale d’une façon ou d’une autre et en ce sens la crise du covid19 devrait accélérer cette tendance mais il est difficile de dire aujourd’hui si ces tendances seront définitives et généralisées ou provisoires le temps qu’une forme de confiance globale revienne.

La Russie n’échappe pas à cette tendance, bien au contraire. La population est très technophile. Il y a une culture forte du smartphone, Internet y est un des moins chers au monde, et il y a une importante couverture territoriale en 3G et 4G, donc la Russie est un pays connecté. Il y a en outre une forte appétence des russes aux nouvelles technologies, aux réseaux sociaux aux messageries, par conséquent le passage à distance se fera sans trop de difficultés d’un point de vue technique. Cela surprend toujours en France lorsqu’on raconte qu’en Russie les candidats postulent par Instagram ou via WhatsApp !

Pour les entreprises les « Ressources Humaines à distance » impliqueront de nouveaux challenges : se réorganiser pour déployer des méthodes agiles de travail à distance pour part ou totalité des employés, modifier ou non le processus habituel de recrutement, surcompenser la distance physique et humaine pour créer et maintenir de la cohésion ou encore savoir utiliser les outils nécessaires et former les employés au maniement de ces outils.

La dimension sanitaire aura des conséquences importantes. On peut s’attendre à l’instauration de nouvelles normes sanitaires obligatoires dans les entreprises comme c’est déjà le cas aujourd’hui en Russie sous la supervision des organes de protection sanitaire d’état ; pourquoi pas demain l’obligation pour les candidats de passer des tests médicaux et de les présenter avec leurs CV comme c’est désormais le cas pour les employés à Moscou depuis la crise du covid19. Ces changements « pourraient » entraîner l’apparition de nouveaux postes dans les entreprises : une sorte de Chief Sanitary Officer ou Sanitary Officer Business Partner, à mi-chemin entre le RH et la HSE et dont le rôle pourrait consister à manager cette transformation sanitaire et s’assurer tant de l’information des employés que de leur suivi ou encore de la mise en conformité des entreprises avec ces potentiels nouveaux cadres légaux. La réorganisation des espaces de travail pour les rendre compatibles avec la distanciation sociale voit déjà le jour tandis qu’on peut aussi imaginer une organisation de rotation par groupes d’employés et par jours pour limiter la densité dans les bureaux. Le télétravail sera sans doute privilégié pour des raisons de coûts et pour les personnes atteintes de maladies chroniques et faisant partie des groupes à risques, par rapport aux personnes qui n’en n’ont pas.

Mais comment assurer de l’équilibre et une justice sociale entre des employés ayant le droit ou le devoir de travailler chez eux et des employés devant eux être sur sites ? Comment assurer un onboarding efficace sans rencontre physique ?

Le travail à distance, prisé par nombre d’employés, ne l’est pas par tous, il est difficile de travailler confortablement de chez soi lorsque vous habitez dans un tout petit appartement avec famille, enfants et vos parents. Va-t-on vers le développement d’un mode opératoire ou par exemple une entreprise n’aurait pas de bureaux uniques mais louerait des postes de travail dans divers endroits de la ville pour ses employés, travaillant ainsi en mode plus éclaté ? On peut même se demander si ces tendances à distance ne vont pas continuer à éclater la relation entre l’employeur et l’employé en accélérant les tendances de la vision du travail avant tout en mode Projet pour un nombre croissant d’employés …

« Nouveaux horizons » : Vous êtes spécialiste du recrutement international et suivez un grand nombre d’entreprises étrangères en Russie. Quels changements constatez-vous dans le comportement des Dirigeants étrangers en matière de recrutement et comment les entreprises internationales s’adaptent aux contraintes sanitaires et économiques, gérées de façon différente dans leur pays d’origine et leur pays d’implantation ? Quant aux entreprises françaises installées en Russie, comment la crise impactera leur activité à moyen terme ?

Les entreprises étrangères en Russie comptent pour à peu près 6% des emplois dans le pays et parmi elle les entreprises françaises sont le principal employeur étranger en Russie. La présence économique française en Russie est solide, ancrée et la crise du covid19 ne va pas remettre en cause ce fait. La Russie reste un marché à fort potentiel même si largement sous- estimé par manque d’information claire, actuelle et objective. La présence économique française pourrait et devrait être plus importante !

Mais en tous les cas, les entreprises françaises sont soumises aux même tendances (évoquées aux cours des questions précédentes) que les entreprises locales, que ce soit sur le plan de la réorganisation technique, sur le plan de la situation économique et de ses conséquences sur le business mais aussi bien évidemment soumises au même cadre légal et sanitaire. De toute évidence 2020 sera une année difficile pour tout le monde, en Russie comme ailleurs dans l’UE ou aux Etats-Unis.

Je crois que cette crise va surtout, encore une fois, accélérer des tendances en cours, et sur le plan de la réorganisation lourde, les tendances de russification des équipes vont continuer à s’accentuer et la présence de managers ou d’employés français continuer à se réduire au sein des entreprises françaises en Russie.

En période de crise et de fort chômage, de grand nombre de candidats potentiels disponibles sur le marché les processus de recrutements seront sans doute plus longs et les enjeux inhabituels. Les entreprises vont sans doute de plus en plus jouer la prudence et embaucher sur de nouvelles compétences et recruter de façon plus stratégique. Au cœur des nouvelles tendances provisoires post crise, les soft-skills, dont l’importance n’a cessé au cours de ses dernières années de prendre de l’importance vont devenir encore et toujours plus importantes. On peut imaginer que deviendra plus important encore l’agilité des candidats, leur aptitude à être recruté, et piloté en travail à distance ou encore à s’adapter.

Sans aucun doute, les entreprises évalueront également la flexibilité professionnelle et la capacité des employés à être « redéployés » au sein de l’entreprise à d’autres postes, ou dans d’autres départements, à s’adapter à de toutes nouvelles situations. Les entreprises auront besoin d’avoir des départements de « Talent Acquisition » particulièrement compétents et des recruteurs expérimentés et capables de recruter à distance, avec de nouvelles méthodes d’évaluation et les technologies adéquates.

Le recrutement deviendra sans doute toujours plus stratégique.

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