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Interview pour le Point sur la situation du Covid19 en Russie

https://www.lepoint.fr/sante/russie-voyage-au-pays-du-covid-02-11-2021-2450167_40.php
 
REPORTAGE.
 
Avec un millier de morts par jour, la quatrième vague de la pandémie fait des ravages au pays de Poutine, mais, dans la population, le fatalisme règne.
 
32 % seulement des Russes ont un schéma vaccinal complet en ayant eu recours a l’un des cinq vaccins disponibles, essentiellement le Spoutnik V << fiable comme une Kalachnikov >>, selon l’expression d’un talk-show télévisé devenue virale.
 
32 % seulement des Russes ont un schéma vaccinal complet en ayant eu recours à l’un des cinq vaccins disponibles, essentiellement le Spoutnik V « fiable comme une Kalachnikov », selon l’expression d’un talk-show télévisé devenue virale.
 
« Le Covid ? C’est dans la tête », s’exclame le grand serveur barbu, hilare, en tapotant son front du bout du doigt. À Saint-Pétersbourg, à quelques heures de la fermeture des bars et des restaurants, le fatalisme domine. L’épidémie fait des ravages en Russie, seul grand pays, deux ans après l’apparition du virus, à connaître une vague d’une telle ampleur.
 
La barre des 1 000 morts par jour a été franchie le 15 octobre, portant le bilan officiel à 233 000 décès, déjà le plus élevé du continent. L’agence fédérale des statistiques Rosstat, qui a une méthode de comptage différente de celle du gouvernement, estime quant à elle à 367 000 le nombre de morts pour la période allant jusqu’à juillet 2021.
 
« Autour de moi, tout le monde a été malade »
 
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« Il y a beaucoup de décès. Je pense que le bilan actuel doit se situer entre 600 000 et 650 000 si l’on compare la mortalité avec celle des années précédentes », explique Alexandre Stefanesco, patron d’Atsal, un cabinet de recrutement qui vit depuis quinze ans en Russie.
Également blogueur, il se passionne pour l’épidémie et renvoie sans peine aux sources disponibles qui confirment son analyse de la situation.
« C’est mécanique. Il y a eu un million de cas supplémentaires en un mois et demi. Beaucoup de ces décès ont frappé la génération de ceux qui ont vécu la chute du communisme. Des gens qui ont été maltraités, mal soignés, mal nourris. Avoir 65 ans ici, surtout dans les régions reculées, c’est l’équivalent de 75 ans en France. À quoi il faut ajouter un peu de fatalisme dans les comportements. Je pense qu’aujourd’hui on est au pic de la quatrième vague. »
 
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« Autour de moi, tout le monde a été malade, ma famille, mes amis. L’exception ce sont plutôt ceux qui ne l’ont pas attrapé », crie presque Julia, jeune étudiante blonde, pour couvrir le bruit du match de foot diffusé à fond dans le bar. Elle a contracté la maladie à deux reprises, en mars 2020 et en février 2021 et n’a pas consulté de médecin, préférant se soigner seule. « Je ne voulais pas être enfermée. Ma colocataire s’est occupée de moi et quand elle l’a attrapé, j’ai fait la même chose. Il faut savoir qu’il y a énormément d’abus de la part des docteurs. Ils multiplient des analyses qui coûtent cher et ne servent à rien. »
 
On n’a aucun recul sur les vaccins. Julia, étudiante
 
Saint-Pétersbourg, la Venise russe et capitale culturelle du pays est la deuxième ville la plus touchée par le virus. Un habitant sur sept aurait été contaminé par le Covid, selon Rosstat et 24 000 en seraient morts. Il faut dire que les Russes y mettent du leur. Le masque ? Son port est très aléatoire. Dans le métro ou les musées, il tombe vite sous le nez. Il est inexistant dans les taxis et les trains.
 
À l’hôtel Moscow, horrible pâté de béton de l’ère soviétique de 800 chambres, si le personnel le porte mollement, dans les ascenseurs bondés, on rigole en voyant l’étranger ajuster le sien. On cherche, sans grand résultat non plus, les distributeurs de solution hydroalcoolique. Quant à la distanciation physique, tout comme les gestes barrières, il s’agit de concepts vains.
 
Saint-Pétersbourg, la Venise russe et capitale culturelle du pays est la deuxième ville la plus touchée par le virus.
 
Les Russes, pour se venger du froid, ont également l’habitude de surchauffer tous les lieux clos. Voitures, transports, restaurants, hôtels sont des étuves et la suggestion d’ouvrir une fenêtre pour ventiler la pièce relève du complot occidental. Surtout, 32 % seulement des Russes ont un schéma vaccinal complet en ayant eu recours à l’un des cinq vaccins disponibles, essentiellement le Spoutnik V « fiable comme une Kalachnikov », selon l’expression d’un talk-show télévisé devenue virale. Mais les Russes font plus confiance au légendaire fusil d’assaut qui, lui, a largement prouvé son efficacité. « On n’a aucun recul sur ces vaccins, ajoute Julia, et beaucoup de gens ont intérêt à ce que la maladie prospère. »
 
Question de survie
 
C’est une mentalité d’assiégés qui domine, où le complotisme le dispute au manque de confiance envers les autorités et le système sanitaire. « Avec tout ce qu’on a connu, comment voulez-vous qu’on ait confiance ? On a surtout appris à être débrouillard », explique une professeure d’université qui parle un peu français et boit un dernier verre avec des amis, un peu accablée par la situation. Bistros clandestins, pass trafiqués, la ruse a toujours été ici une question de survie. Un QR code se négocie entre 5 000 et 20 000 roubles (entre 60 et 240 euros), une somme abordable.
 
« On dit que les Russes ne font pas confiance à l’État. Peut-être. Mais surtout ils ne font pas confiance au vaccin, Spoutnik ou autre. Vous leur donneriez du Pfizer, ce serait pareil », explique Maurice Leroy qui fut ministre de la Ville de Nicolas Sarkozy et a refait sa vie en Russie où il est devenu vice-président de la société publique Mosinzhproekt, 12 000 salariés, chargée de développer les infrastructures du Grand Moscou, comme le métro. « Je le dis à mes amis russes, de tous niveaux, qui ne sont pas vaccinés : comment, dans un pays où la science a toujours été vénérée, pouvez-vous ne pas croire à la vaccination ? Comment voulez-vous que ça s’arrête ? Bien sûr, ils sont mal à l’aise pour répondre. Je dois signaler aussi que les Russes consomment peu de médicaments, ils sont proches de la nature et adeptes des remèdes qui en proviennent. »
 
On discute dans la nuit avec Boris, archéologue, grand gaillard de 35 ans devant un bar du quartier du musée de l’Ermitage. « C’est quand je me suis fait vacciner cet été avec le Spoutnik que les problèmes ont commencé. Le Covid a explosé dans mon corps. Les médecins m’ont dit que j’étais porteur asymptomatique et que le vaccin avait causé une réaction. Ils m’ont déconseillé la deuxième dose. Je suis resté plusieurs semaines au lit chez moi. C’était très difficile, jusqu’à avoir des hallucinations. » Sa femme, elle, a passé deux semaines à l’hôpital. « Je dois connaître au moins une quinzaine de personnes qui ont été malades, tout mon entourage ou presque. » Que pense-t-il des mesures qui entreront en vigueur le 30 octobre ? « Lesquelles ? », répond-il en rigolant.
 
La diagonale du flou
 
Il faut dire que du côté du pouvoir, c’est la diagonale du flou. Si Vladimir Poutine, tout en fustigeant la mauvaise volonté des habitants à se faire vacciner, a décidé, devant la saturation des services hospitaliers, d’une période chômée de onze jours, financée par l’État, qui vient de débuter, il a aussi surpris par certaines de ses déclarations. Comme devant le club de réflexion Valdaï où il a évoqué « les citoyens de pays européens qui viennent se faire vacciner en Russie au Spoutnik puis achètent, chez eux, en Europe, un certificat Pfizer. » Comprenne qui pourra.
 
La barre des 1 000 morts par jour a été franchie le 15 octobre, portant le bilan officiel à 233 000 décès, déjà le plus élevé du continent.
 
Comme à chaque vague de l’épidémie, un large pouvoir de décision a été laissé d’un bout à l’autre du pays aux maires et gouverneurs. Celui de Saint-Pétersbourg, Alexander Beglov, a décidé la fermeture des bars et des commerces non essentiels, les musées et animations culturelles restant ouverts sur présentation d’un pass sanitaire délivré aux personnes vaccinées et à celles qui disposent d’un test négatif au Covid de moins de 72 heures. Il a été demandé aux employeurs de privilégier le télétravail et les personnes de plus de soixante ans non vaccinées ne pourront plus accéder aux lieux publics. Quant aux étudiants comme Julia ils doivent renouer avec les cours à distance. Mais ces mesures confuses ont du mal à convaincre la population.
 
« Poutine fait tout ce qu’il peut pour le pays », s’exclame le chauffeur de taxi, fan du maître du Kremlin, mais qui ouvre des yeux ronds quand on lui demande s’il est vacciné. Devant l’hôtel, un groupe de copains a bien fêté les dernières heures des bars. L’un est tellement ivre qu’après des dizaines d’embrassades, il ouvre le coffre de la voiture pour y monter. À l’intérieur, c’est la fête. L’hôtel est bourré d’enfants, coincés par les nouvelles mesures, qui piaillent et courent dans les couloirs tandis que leurs accompagnateurs déambulent en tongs et sortie de bain. D’autres clients, par groupes, se saoulent avec méthode sur les bancs devant les ascenseurs.
 
Pas de pass sanitaire européen accepté
 
Samedi 30 octobre, malgré la fermeture maintenant effective des magasins et des restaurants, le trafic automobile est toujours aussi dense, tout comme la foule – quasiment sans masques – qui déambule le long de la Neva et des canaux qui entourent l’église Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé, inondée de soleil après avoir été noyée d’eau le matin. Quelques terrasses éphémères sont apparues, les habitants et les touristes viennent chercher leur repas aux comptoirs, le ballet des livreurs à vélos commence.
 
Si la veille, on a pu visiter le musée de l’Ermitage sans problème, aujourd’hui on ne pénétrera pas dans la cathédrale Saint-Pierre-et-Paul au cœur de la citadelle. 
 
Les vaccins russes n’étant pas reconnus par les autorités sanitaires occidentales, le pass sanitaire européen ne l’est pas non plus ici. Il ne reste plus qu’à rentrer dîner dans sa chambre comme les autres clients de l’hôtel qui montent dans les étages avec, dans leurs sacs plastiques, de quoi soutenir un siège. 
 
Quand Saint-Pétersbourg redevient Leningrad.

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