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Interview pour Le Point sur la situation des entrepreneurs français en Russie

« La Russie m’a tout donné, la Russie m’a tout repris. ». Pour Arnaud Jacquard, 49 ans, trois enfants franco-russes et trente années passées là-bas, tout est fini. Après vingt ans dans la restauration et dix à développer un réseau de vente de vélos électriques employant 150 personnes, l’invasion de l’Ukraine met fin à tous ses espoirs.
Joint en Espagne, où il participait par hasard à une compétition au moment où les troupes russes ont fondu sur l’Ukraine, jeudi 24 février, Arnaud Jacquard se doutait bien que quelque chose allait arriver. « J’ai une entreprise à Smolensk (ville de l’ouest de la Russie située à soixante kilomètres de la Biélorussie) et quand j’ai vu ces longues colonnes de véhicules militaires qui n’en finissaient pas venant de la région de Moscou, je me suis dit que quelque chose se préparait. Mais de là à penser que l’armée envahirait l’Ukraine, non vraiment pas, c’est trop irréel. »Pour lui, les conséquences sont simples. « Cartes de crédit coupées, impossibilité de retourner là-bas, j’ai fermé mes boutiques. Le rouble s’est effondré. Le peu d’argent qui me reste va fondre comme neige au soleil. Il va falloir repartir à zéro. La Russie, c’était toute ma vie. »

Pour Emmanuel Quidet, le président et l’un des fondateurs de la Chambre de commerce et d’industrie France-Russie à Moscou, c’est la sidération. « Personne ne s’attendait à une invasion de l’Ukraine. Tout le monde est inquiet, la guerre est à quelques centaines de kilomètres de Moscou. Pour l’instant, les autorités françaises n’ont pas demandé aux expatriés ou aux résidents de quitter la Russie, seulement aux Français de passage, comme les touristes. Celui qui veut quitter le pays le peut. Le ciel européen est interdit, mais il est possible de partir par le Sud. Certains passent par l’Arménie, l’Azerbaïdjan, ou empruntent les vols des compagnies aériennes du golfe persique pour aller vers Dubai ou les Émirats arabes unis. On est vraiment dans une situation très volatile, on ne sait pas si demain il n’y aura pas un ordre d’évacuation des ressortissants français. »
L’autre surprise de tous les expatriés et résidents français en Russie – environ 5 000 personnes enregistrées auprès des autorités consulaires – est la réaction rapide et brutale de la communauté internationale.
« Compte tenu des sanctions, qui sont extrêmement fortes, il devient impossible d’acheter des composants, des logiciels, des machines-outils et même si vous pouvez les acheter, vous ne pouvez pas les payer, poursuit Emmanuel Quidet. Ces sanctions font mal à toutes nos entreprises. Personne ne pensait à cela. »

Alexandre Stefanesco, patron d’Atsal, un cabinet de recrutement qui vit depuis quinze ans en Russie, est encore sous le choc. « Je n’en reviens pas. Et tous ceux que je côtoie ici, à Moscou, qu’ils soient russes ou français, non plus.
Envoyer des forces russes dans le Donbass, reconnaître les deux entités, cela pouvait s’imaginer, mais l’invasion pure et simple, personne ne l’envisageait.
D’autant que les deux populations, malgré leurs différends, sont très proches. Il y a beaucoup de couples mixtes russo-ukrainiens et une longue histoire commune.
Certaines entreprises françaises avec lesquelles je travaille commencent à rapatrier leurs employés.
Le paquet de sanctions qui entre en vigueur va être très pénible à vivre. C’est un véritable coup de poignard. Ça va faire mal. Tout va devenir beaucoup plus compliqué ici. »

Stéphane Bilquey est directeur de Clemessy (groupe Eiffage), basé à Samara, et vit depuis quinze ans en Russie. « Ici, les gens ont été surpris par cette offensive militaire.
Avec les sanctions, on essaye d’affaiblir la Russie et il y aura un impact économique, c’est certain. Mais les Russes ont survécu à d’autres crises, même si la jeune génération n’a pas vécu les privations des générations précédentes. Il y a de l’argent dans les caisses, l’appareil industriel a été renouvelé. Les gens observent, attendent, sont inquiets mais pas affolés.
Les Russes sont des gens rationnels, ils n’agissent pas sous le coup de l’émotion. La guerre en cours, pour l’instant, n’a visiblement rien à voir avec celle de Tchétchénie. Les Russes et Ukrainiens sont slaves, leurs familles sont très imbriquées, ils sont frères.
C’est pour cela qu’il y a des manifestations en Russie.
S’il y a des exactions, l’opinion publique russe ne le supportera pas. Tout le monde espère que des négociations aboutiront. On regrette presque la pandémie de Covid. Pour nous, pour l’instant, il n’y a pas de plan de rapatriement. »

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