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Enquête sur ces entreprises françaises qui ont choisi de rester en Russie

Les retraits médiatisés d’entreprises ont pu donner l’impression que la Russie s’était vidée de ses groupes français. Il n’en est rien.
Si Renault, Société générale, Publicis, Schneider Electric, Atos ou Sodexo ont quitté le pays à grand bruit, bien plus nombreuses sont les entreprises qui y sont restées.
 
Certaines, comme Hermès, Safran, Michelin, Crédit agricole ou Decathlon, y ont suspendu toute leur activité, faisant le gros dos tant que dure la tempête.
 
D’autres y poursuivent, en totalité ou en partie, leurs opérations.
 
Le risque d’image est pourtant considérable. Accusé de fournir indirectement l’armée russe, TotalEnergies, qui dément vigoureusement cette accusation, en a fait les frais la semaine passée.
Et les marchés boursiers préfèrent les groupes qui soldent l’aventure russe.
 
Les entreprises qui ont choisi de rester avancent trois grands arguments: la poursuite d’activités jugées essentielles pour la population russe, la volonté de ne pas insulter l’avenir, et le coût exorbitant du retrait.
 
Parmi eux figurent, selon l’université de Yale :
– Auchan, Etam, La Redoute, Leroy Merlin, Lacoste ou Bic en grande consommation et distribution ;
– Lactalis, Danone, Savencia, Le Duff, Bonduelle ou Limagrain dans l’agroalimentaire ;
– des groupes comme Eutelsat, Faurecia, Legrand, Orano, Valeo, Veolia, Vinci, TotalEnergies ou Sanofi.
 
Six mois après le début de la guerre, leur activité en Russie ne s’est pas du tout normalisée, bien au contraire.
 
«Ces sociétés, qu’il s’agisse de PME ou de grandes entreprises, sont toujours en régime de crise, constate Olivier Attias, avocat chez August Debouzy.
Tous les jours, des clients nous sollicitent. Ils cherchent des solutions pour continuer à y travailler dans le respect des sanctions européennes, qui se sont progressivement durcies.»
 
Un septième paquet de sanctions a été publié le 21 juillet.
 
«Un nouveau paquet, c’est un mois de travail d’analyse et deux mois de mise en application, approuve le responsable pays d’un groupe industriel.
 
Beaucoup d’entreprises préfèrent renoncer à la Russie plutôt que de se coltiner toute cette complexité.»
 
Salariés sur écoute
 
Rester en Russie, c’est avancer chaque jour sur un chemin de crête, en respectant les sanctions européennes sans subir de douloureuses contre-sanctions russes. Tout un art.
 
«Les autorités locales ont des principes simples: soit on reste, soit on part, soit on est attentiste, poursuit ce responsable pays. Il faut se maintenir du bon côté pour que les autorités russes, très pragmatiques, accordent des dérogations à telle ou telle contre-sanction.»
 
Demeurer dans la bonne catégorie suppose parfois de rester discret sur la cession d’un actif local, alors même qu’elle aurait mis du baume au cœur aux équipes occidentales.
 
La crainte des contre-sanctions y pousse. Pernod Ricard a ainsi stoppé ses exportations en Russie, où il n’a aucun site de production. Mais il a estimé devoir y maintenir une activité minimale afin que les dirigeants de la filiale ne soient pas accusés de faillite frauduleuse.
 
Pour continuer à payer ses salaires de ses 200 employés, il a vendu au fil de l’eau les bouteilles qui lui restaient en stock. Pour continuer à maintenir une activité minimale, le groupe envisage de réexporter des bouteilles de whisky vers la Russie.
 
Difficile de se soustraire à l’œil de Moscou.
 
«Les pouvoirs publics russes sont très présents, constate Olivier Attias. Ils observent, menacent. L’objectif est d’inciter les entreprises à rester.» Les salariés locaux, désormais russes en quasi-totalité, craignent d’être sur écoute, rapportent plusieurs groupes de l’agroalimentaire. 
 
«Nous ne pouvons, dans ce cas, les croire sur parole lorsqu’ils nous disent, par téléphone ou par visioconférence, que tout se passe bien sur le terrain», rapporte l’un d’eux.
 
Certains, et c’était déjà le cas avant la guerre, travaillent en parallèle pour les services secrets russes.
 
L’isolement de la Russie et le jeu de sanctions et de contre-sanctions ont pour effet d’isoler les filiales russes de leur maison mère occidentale. La plupart ont rapatrié leurs salariés français. Les échanges se font, sauf exception, par téléphone ou par visioconférence. Et pour cause, il faut désormais vingt-quatre heures pour se rendre en Russie, en passant par Belgrade, Istanbul ou Helsinki, contre 3 h 30 avant la guerre.
 
Ces problèmes logistiques ont des répercussions considérables sur l’activité des entreprises.
 
Bonduelle éprouve toutes les difficultés à acheminer semences, boîtes et pièces détachées. Danone, qui se concentre sur les produits de première nécessité, assume de rester sur ce marché pour subvenir aux besoins vitaux des Russes. Mais le groupe y rencontre des défis logistiques gigantesques. Il s’est par exemple récemment trouvé en rupture de colle pour sceller les opercules de ses pots de yaourts, faute de fournisseur local.  Une alternative a été trouvée, qui suppose de repenser en profondeur les processus de production et les fournisseurs. Depuis le début du conflit, une centaine de contrats ont été signés avec des fournisseurs locaux.
 
Les entreprises demeurées sur place n’ont guère le choix: elles doivent y être autonomes. Auchan se fournit ainsi quasi intégralement sur place.
 
«L’absence des grandes enseignes occidentales nous pénalise»
 
Les rentrées d’argent locales doivent couvrir les charges de fonctionnement car l’envoi et le rapatriement d’argent sont devenus extrêmement complexes. «Même quand les flux financiers ne contreviennent pas aux sanctions, les banques occidentales les bloquent la plupart du temps, plutôt que de faire une analyse du risque», constate Olivier Attias. Les assureurs occidentaux n’assurent plus non plus ces filiales. Dans ces conditions, toutes les entreprises ne pourront tenir indéfiniment.
 
Les sanctions et la crise économique en Russie ont souvent porté un coup à la rentabilité de ces filiales. Celle d’Auchan (3,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021) était l’une des plus rentables du distributeur. Cette année, elle devrait être en perte, prévoit le groupe.
 
«Au deuxième trimestre, la crise économique a commencé à se faire sentir dans les rayons de nos magasins, explique Ludovic Delcloy, directeur financier d’Auchan Retail.
 
L’absence des grandes enseignes occidentales telles que H&M, Zara ou Ikea, qui drainaient du trafic, nous pénalise aussi.»
 
Chez Accor, l’activité s’est aussi réduite au minimum. Le groupe hôtelier exploite 57 hôtels en Russie, autant en management qu’en franchise. Dans les grandes villes comme Moscou ou Saint-Pétersbourg, la clientèle s’est limitée cet été aux Russes en vacances, quand elle était principalement internationale et d’affaires. «Nous ne gagnons pas d’argent, donc nous ne payons pas d’impôts en Russie», martèle depuis plusieurs mois Sébastien Bazin, PDG d’Accor.
La relation se tend entre Accor et certains de ses propriétaires, pour le compte desquels il exploite ses établissements. Interrogée, une porte-parole confie que «le groupe n’exclut pas de prendre des mesures complémentaires, pour réduire sa présence en Russie».
 
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